Urgence climatique : qu'en pensent 6 experts du climat ?

Dans un contexte où l'urgence climatique s'intensifie, où les effets du réchauffement planétaire sont de plus en plus perceptibles, une question cruciale se pose : "Urgence climatique : est-il déjà trop tard pour inverser la tendance et sauver notre planète ?"Pour répondre à cette interrogation, nous avons sollicité l'expertise de plusieurs spécialistes du climat. Leurs réponses nous apportent un aperçu éclairé sur la situation actuelle et sur les mesures nécessaires pour faire face à l'urgence climatique. Découvrons les points de vue de ces experts.

urgence climatique

"Il est urgent de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour, si possible limiter le réchauffement global bien en deçà de + de 2°."

Hervé Douville est climatologue et chercheur permanent au Centre national de recherches météorologiques. Il est aussi l'un des auteurs du dernier rapport du GIEC. Son avis sur l'urgence climatique : 

"Le message clé du GIEC concernant l'atténuation du changement climatique est à la fois simple et ambigu. Puisque chaque tonne de CO2 ou chaque décile de réchauffement supplémentaire accroît les impacts potentiels du dérèglement climatique, il est urgent de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour, si possible, limiter le réchauffement global bien en deçà de +2°C par rapport à l'ère préindustrielle. À la gradualité des impacts s'oppose ainsi un seuil fatidique de température qu'il s'agirait de ne pas excéder. De ce seuil dépend le degré d'urgence des mesures d'atténuation et le délai disponible pour atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre. Les lois de la physique sont telles que la stabilisation des températures requiert la stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre et donc l'arrêt des émissions qui ne peuvent être absorbées par les puits naturels de carbone.Le premier groupe de travail du GIEC attire l'attention sur le fait que la gradualité apparente des impacts, considérés de manière générale, ne doit pas occulter de possibles points de bascule (changements abrupts et plus ou moins irréversibles tels que la déstabilisation des calottes polaires, l'effondrement de la circulation thermohaline dans l'Atlantique Nord, ou la disparition des forêts tropicales en Amazonie) dont les conséquences pourraient être désastreuses. La probabilité reste incertaine mais elle augmente avec l'amplitude du réchauffement global.D'un point de vue purement climatique, la prudence consiste donc à agir aussi vite et fort que possible pour limiter les nombreux impacts négatifs redoutés pour les sociétés humaines et les écosystèmes.D'un point de vue social, l'équation est nettement plus compliquée puisqu'il s'agit d'accompagner les changements nécessaires et de faire respecter une forme de justice climatique dont la définition reste largement débattue.Enfin, il faut éviter de confondre vitesse et précipitation pour réaliser des choix efficaces aussi bien en matière d'adaptation que d'atténuation. Les fausses "bonnes solutions technologiques" ne manquant pas de se multiplier dès lors que les gouvernements seront mis sous pression et tant que les populations resteront réticentes à s'engager sur la voie d'une plus grande sobriété."

"On ne reviendra jamais en arrière. Par contre, notre futur va largement dépendre de nos actions d'aujourd'hui."

François Gemenne est enseignant chercheur pour le Fonds de la recherche scientifique (FNRS). Il est professeur à Sciences Po où il donne des conférences sur le changement climatique et les politiques migratoires. Il est également auteur d'ouvrage et a été co-auteur du 6ème rapport du GIEC. Il est co-directeur de l'Observatoire du climat et de la défense au ministère des forces armées à l'IRIS. Cet expert du climat est aussi le directeur du centre de recherche The Hugo Observatory: Environment, Migration, Politics basé à Liège.  Twitter Instagram Linkedin 

"Il faut réaliser que le changement climatique n'est pas un problème binaire, c'est un problème graduel, c'est-à-dire, qu'il n'est jamais trop tard ! Chaque dixième de degré va faire une énorme différence, en particulier pour des systèmes qui sont très vulnérables à toutes variations de température. Le souci de penser le changement climatique comme un problème binaire, c'est que l'on va avoir tendance à se décourager, à se dire que ça ne sert à rien alors qu'en réalité, tout va compter. Il faut abandonner l'idée qu'on va pouvoir revenir en arrière, le changement climatique que l'on a engagé est irréversible à l'échelle du siècle. Par contre, ce sont nos actions aujourd'hui qui vont déterminer quel sera le niveau de hausse future des températures, c'est là que tout va se jouer, que la différence va se faire. 

Aucune action contre le changement climatique n'est inutile. Notre futur va largement dépendre de nos actions d'aujourd'hui."

"Nous sommes tous acteurs du changement, il n'est pas trop tard pour agir."

Olivier Barrière, biologiste de formation, est un expert reconnu dans le domaine des questions climatiques. En tant que conférencier et intervenant en développement durable, il partage son savoir lors de conférences axées sur des sujets tels que l'eau, les énergies marines et la biodiversité. Linkedin 

"Notre compréhension du changement climatique et de ses conséquences est loin d'être récente, elle date de la moitié du XIXe siècle. Pourtant, ce n'est que très récemment que nous avons pris la mesure des impacts de l'utilisation massive des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon). Si ces énergies ont révolutionné nos modes de vie, nous en payons aujourd'hui le prix.

En France, nous nous sentons moins touchés que d'autres régions du monde. Pourtant une récente étude laisserait entendre que « la France se réchaufferait davantage (environ + 20 %) que la moyenne planétaire » (étude parue début octobre 2022 dans la revue "Earth Systems Dynamics »).

La perte de biodiversité directement liée au changement climatique est indéniable et elle va très probablement s'accélérer. Il en va de même pour les problématiques d'accès à l'eau. Cependant, il faut bien comprendre que la perte de biodiversité, la raréfaction des ressources naturelles ne sont pas les conséquences d'un unique phénomène, à savoir le changement climatique. L'urbanisation galopante, la surexploitation des ressources, les pollutions, la réduction des espaces naturels et bien d'autres facteurs liés à nos activités sont autant de facteurs qui, conjugués au réchauffement global, menacent notre planète.

Il faut par ailleurs être conscients que stopper net la totalité de nos émissions ou en tout cas les réduire de telle sorte que les puits de carbone naturels (forêts, océans, sols, etc.) aient la capacité de les séquestrer durablement, n'enrayera pas instantanément les effets du réchauffement climatique. Les gaz à effet de serre déjà émis par nos activités resteront encore longtemps dans notre atmosphère, avec tout ce que cela engendre. Cela souligne l'urgence de réduire durablement et le plus rapidement possible nos émissions.

Malgré ce constat inquiétant, qui fait aujourd'hui consensus, la nature humaine est ainsi faite, c'est au pied du mur, voire le nez collé au mur, que nous réagissons. Néanmoins, nous avons la capacité d'inverser la tendance et par la force des choses, nous y serons contraints.

Même si les dommages que nous provoquons sont importants, la nature a une capacité de résilience. Par contre, il faut bien être conscient, que pour l'humanité, le monde de demain sera très différent de celui d'hier. La réelle question de mon point de vue est : peut-on encore sauver nos modes de vie modernes, nos modèles de développement et économiques ? Je ne suis pas un militant de la décroissance, mais je reste persuadé que cette surconsommation, ce gaspillage des ressources, ce déni de nos impacts sur le vivant ou le climat, sont bien plus préjudiciables à l'humanité qu'à notre planète. Je reste convaincu que nous pouvons conserver notre qualité de vie avec un développement de nos sociétés plus durable, mais cela aura un prix. Nos modèles, nos modes de consommation, notre rapport à la nature, doivent profondément évoluer. Et ce n'est pas demain qu'il faudra l'acter, ni attendre des autres la solution. La prise de conscience doit être collective, prise à bras-le-corps dans notre propre intérêt, comme dans celui de notre planète. Nous sommes tous acteurs du changement, il n'est pas trop tard pour agir et préserver la richesse de nos milieux naturels. "

"Scientifiquement parlant, il n'est pas trop tard, il reste une dizaine d'années pour agir."

Didier Swingedouw est climatologue, chercheur au CNRS. Il travaille au Laboratoire Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux (EPOC), à Bordeaux. Cet expert du climat est aussi l'un des contributeurs des rapports du GIEC. Linkedin Twitter Site

"Il n'est pas trop tard ! Il y a des seuils dangereux qui sont devant nous comme les +1,5 degré, +2 degrés. On a donc un droit d'émission très restreint. C'est cela qui, sans doute, fait dire à certains qu'il est trop tard, mais scientifiquement parlant, il n'est pas trop tard. Il reste une dizaine d'années, une vingtaine au maximum pour agir, après, on passera des seuils potentiellement dangereux, des changements climatiques de plus en plus problématiques. On entend beaucoup de discours pour prôner une certaine inaction comme " c'est trop tard, autant continuer comme on le fait, et on verra".Il n'y a pas de solution miracle, mais plutôt des solutions qui, bout à bout, pourraient répondre au challenge. Les solutions individuelles fonctionnent, elles sont importantes, mais elles ne suffisent pas. Elles doivent s'accompagner d'un changement de mentalité, de comportement. "

"Non, il n'est pas trop tard pour agir. Il importe de freiner les émissions de gaz à effet de serre, aujourd'hui, demain et après-demain."

Olivier Boucher est directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), expert en modélisation du climat. Son expertise a été sollicitée lors de la coordination du chapitre "Nuages et aérosols" du cinquième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC.

"Non, il n'est pas trop tard pour agir. Plus on émet de gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone (CO2), plus on réchauffe notre planète et plus les impacts du changement climatique seront sévères. A contrario, moins on émettra de gaz à effet de serre et moins on réchauffera la planète. Stabiliser le réchauffement climatique nécessite de ramener nos émissions de CO2 à zéro. C'est le concept de "zéro émission nette" que l'on appelle aussi "la neutralité carbone". Si l'on veut stabiliser le réchauffement à un niveau acceptable, disons 2°C,  il faut arriver à cette neutralité carbone à l'échelle du globe dans la deuxième moitié du 20ᵉ siècle. Cela implique que les pays développés du Nord, qui ont plus émis de gaz à effet de serre dans le passé que les pays du Sud, atteignent cette neutralité carbone d'ici à 2050. 

On peut "ralentir la tendance" et stabiliser le climat dans un état plus chaud, mais on ne pourra pas "inverser la tendance" en ce sens que le changement climatique que nous connaissons, et que nous allons continuer à connaître dans les décennies à venir, est irréversible à l'échelle des générations futures. Sauf, à aller rechercher le CO2 dans l'atmosphère, ce qui est très hypothétique. De plus, il n'y a pas de seuil bien défini, chaque dixième de degré de réchauffement en moins est bon à prendre. 

C'est pourquoi, il importe de freiner les émissions de gaz à effet de serre, aujourd'hui, demain et après-demain. En France, en Europe, et dans le reste du monde. Alors même que le réchauffement va se poursuivre du fait de l'inertie du système climatique. "

urgence climatique

"Le niveau de gravité que l’on va atteindre n’est pas écrit, car il dépend de nos émissions futures."

Marina Levy est diplômée d'océanographie, météorologie et environnement de l'université Pierre et Marie Curie (UPMC) où elle a réalisé un doctorat d'océanographie. Elle est aujourd'hui Directrice adjointe du département "Océans, climat et ressources" au sein de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Linkedin 

 "Les résultats de la science sont sans équivoque par rapport à cette question. Le climat a déjà commencé à se modifier en réponse aux émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines. Ces effets se font sentir dans les océans, qui sont plus chauds, ont vu leur niveau de la mer augmenter, et qui commencent à s’asphyxier. Mais, le niveau de gravité que l’on va atteindre n’est pas écrit, car il dépend de nos émissions futures. Plus on réduira nos émissions, plus le changement climatique sera contenu et moins ses effets seront dramatiques. 

L’urgence est de limiter nos émissions le plus rapidement et le plus intensément possible. Chacun de nos efforts va avoir un effet positif sur le climat futur et va nous permettre de rester le plus proche possible du climat que l’on connait actuellement et dans lequel nos sociétés se sont développées. Des solutions existent à l’échelle individuelle et à l’échelle collective. Il faut œuvrer à les mettre en œuvre. "

Vous avez envie d'agir pour lutter contre l'urgence climatique ?Rejoignez notre campagne de protection de l'environnement Sapousse. Un projet de plantation qui lutte contre la déforestation tout en fournissant aux populations locales un moyen de subsistance.Pour agir pour le climat à nos côtés, c'est par ici 👉https://life-ong.org/en-action-life-ong/sapousse/

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