Le reboisement par Thierry Gauquelin

Nous poursuivons notre série d’interviews sur le reboisement avec Thierry Gauquelin. Il nous en dit plus sur le rôle crucial des programmes de plantations dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il nous parle aussi des bonnes pratiques à suivre pour assurer la réussite des opérations de reforestation et des avantages de l’agroforesterie.

Thierry Gauquelin est Professeur émérite à l’IMBE (Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie Marine et Continentale) et à Aix-Marseille Université. Il est l’auteur du livre paru aux éditions Harmattan : « Des arbres et des forêts, dictionnaire pour comprendre ces fabuleux organismes vivants. »

 

1) En quoi les programmes de reboisement répondent-ils aux défis environnementaux actuels ?

« Les arbres, puits de carbone »

Les arbres, par leur photosynthèse, constituent des puits de carbone capables de retirer à l’atmosphère des quantités importantes du CO2 émis par nos activités anthropiques. Sachant cela, planter massivement des arbres est apparu comme une des solutions envisageables d’atténuation afin de lutter contre le changement climatique. S’ajoute à cela le fait que, pour différentes raisons, la fonction de puits de carbone des forêts existantes s’amenuise, même si cela est très variable selon les régions du monde. Ainsi, ces plantations peuvent suppléer à cette relative déficience des forêts. Mais ces plantations ne sont pas toujours judicieuses ni efficaces, notamment dans cette optique d’atténuation. Elles peuvent même s’avérer néfastes ! La capacité des plantations d’arbres à séquestrer du carbone a en effet sans doute été surestimée. Et ceci d’autant plus qu’il y a pour ces plantations beaucoup d’échecs. Ils sont notamment liés à la non-adéquation des essences utilisées et à un manque de suivi des opérations réalisées.

« Préserver les forêts existantes »

De plus, les dernières études conduites par Thomas Crowther incitent à privilégier aujourd’hui le potentiel des forêts existantes pour séquestrer ce carbone. Ainsi, une étude parue dans la revue Nature et co-signée par plus de 200 chercheurs, montre que la conservation, la restauration et la gestion durable des forêts existantes constituent un élément essentiel à la réalisation des objectifs mondiaux en matière de climat et de biodiversité. Elle montre que le stockage mesuré est nettement inférieur au potentiel naturel, avec un déficit de l’ordre de 226 Gt (rappelons que le stock global de carbone représenté par la biomasse des organismes terrestres est de l’ordre de 750 Gt). Potentiellement, les forêts existantes peuvent encore fixer beaucoup de carbone… Si on les préserve et les restaure !

Enfin, si ce stockage de carbone par plantation peut être efficace quand on favorise des espèces à croissance rapide et commercialement rentables (eucalyptus, hévéa, teck, acacia) - jusqu’à cinq tonnes de carbone par hectare et par an - ce stockage est souvent éphémère. Les arbres sont coupés, transformés par exemple en pâte à papier, papier qui est ensuite rapidement brûlé, relarguant le CO2 dans l’atmosphère. 

« Une plantation n’est pas une forêt »

Dernier élément essentiel, une plantation n’est pas une forêt, c’est un écosystème beaucoup plus simple, qui ne rend pas les mêmes services. La biodiversité, les processus écosystémiques sont beaucoup plus complexes dans la forêt. Ce sont des milliards d’échanges de matière et d’énergie entre la faune, la flore et le sol. C’est une dynamique très complexe, avec des chaînes trophiques, des organismes qui se mangent les uns les autres. Alors qu’une plantation, c’est la même chose, en gros, qu’un champ de maïs. D’autre part, les plantations posent un certain nombre de problèmes d’un point de vue écologique. Ceci est notamment le cas concernant les essences à utiliser et l’impact de ces plantations sur les sols et la biodiversité ! Souvent réalisées à partir d’une seule essence - on parle de plantations monospécifiques -, elles n’ont pas la même efficacité ni la même résilience que des peuplements mélangés ou que des forêts naturelles. Faisant souvent appel à des espèces exotiques, elles peuvent même constituer une menace pour la biodiversité… à la base du fonctionnement harmonieux de ces écosystèmes.

Ces plantations sont d’autre part dans la majorité des cas précédées d’une coupe à blanc ou coupe rase, qui a des effets dévastateurs. Cela peut se comprendre dans le cas où la totalité du peuplement a été détruite, par exemple les épicéas des Vosges qui l’ont été suite à une attaque de scolytes. Cependant, il ne se justifie pas si seulement une partie des arbres du peuplement dépérit.

Enfin, la plantation en plein nécessite des moyens financiers très importants et la disponibilité de plants n’est pas forcément assurée.

reboisement Afrique ong Life
Plantations par notre ONG LIFE, Madagascar, 2020

2 ) Quels principes clés doivent être respectés pour assurer la réussite d’un projet de reboisement ?

 Les plantations ne doivent pas bien sûr être définitivement abandonnées. En effet, elles présentent une alternative intéressante dans des environnements difficiles et contraints. Elles offrent de plus des vertus pédagogiques. Cependant, elles doivent dans tous les cas être réalisées d’une manière très encadrée. Il est important également qu’elles fassent l’objet de suivi et d’une évaluation précise de leurs impacts et bénéfices. Voici les différentes bonnes pratiques à adopter pour assurer la réussite d’un projet de reboisement :

« Pas de plantation monospécifique »

Il ne faut surtout pas de plantation monospécifique. Il est important de ne pas recommencer des erreurs comme cela fut et est encore le cas pour la forêt des Landes reboisée avec une seule essence, le pin maritime. Il est important de réaliser des plantations plurispécifiques. Elles vont combiner des essences aux traits de vie différents.
Par exemple, en domaine tempéré, peuvent être plantés ensemble des arbres à feuillage caduc ou persistant, des résineux et des feuillus ou encore des espèces dont le système racinaire exploite des profondeurs différentes du sol. Il faut aussi étaler la réalisation de la plantation sur plusieurs années. Cela permet de limiter au maximum le caractère régulier de celle-ci pour favoriser une structure plus complexe de cette plantation. De nombreux travaux montrent que, quand on a plusieurs espèces en mélange, on a des forêts fonctionnant mieux et beaucoup plus résilientes par rapport au changement climatique. Par exemple, la litière qu’elles forment au sol pourra être prise en charge par des organismes très différents, complémentaires.

« Privilégier les espèces autochtones »

Il faut privilégier les espèces autochtones, et non pas des espèces exotiques introduites, comme on l’a beaucoup fait avec le pin Douglas. Il faut restreindre l’usage systématique d’espèces exotiques au profit d’espèces natives, sans exclure de faire appel à des provenances plus lointaines de ces dernières. En effet, celles-ci sont susceptibles d’être mieux adaptées au changement climatique sans pour autant être invasives et préjudiciables à l’équilibre des écosystèmes locaux. Les espèces natives présentent une diversité génétique importante, garant de cette nécessaire adaptation au changement climatique. Elle rend inutile, voire risquée, l’utilisation d’espèces exotiques dont on ne connaît pas le comportement à moyen et long terme et qui peuvent s’avérer, pour certaines, envahissantes.

Plantation de mangroves par l'ONG LIFE en Indonésie, 2023

 

« Bien choisir le lieu du reboisement »

On ne peut planter n’importe où. Par exemple, pas dans certains milieux ouverts, comme en France, les pelouses sèches à orchidées qui sont des milieux dont la biodiversité est extrêmement intéressante. On ne peut pas non plus le faire dans des zones bénéficiant de statuts forts de protection.

« Tenir compte du sol »


Le sol doit également être pris en compte. Par exemple, le passage de gros engins en perturbe la structure et la biodiversité. L’utilisation d’intrants (engrais, désherbants) doit être bannie dans la mesure où on veut tendre vers un fonctionnement biogéochimique de l’écosystème plus complexe que celui de la plantation « basique ».

« Assurer son entretien »

Il faut, une fois la plantation réalisée, continuer à s’en occuper, la protéger éventuellement et surtout évaluer sa réussite. Ceci se fait par un suivi - annuel si possible - de la croissance, de la mortalité, etc. L’idéal est de pouvoir impliquer dans tout le processus les scolaires. En effet, ces plantations sont d’un grand intérêt d’un point de vue pédagogique.


3) Pourquoi planter massivement des arbres peut être contreproductif dans la lutte contre le changement climatique ?

 

Si ces plantations n’obéissent pas aux principes énoncés plus haut – comme c’est encore souvent le cas - les bénéfices seront faibles. De plus, les plantations pourront même constituer une menace pour la biodiversité et le fonctionnement harmonieux des écosystèmes. Et tout ceci sans pour autant présenter une grande efficacité à long terme concernant le stockage de carbone.

Enfin, il faut considérer que de toute manière les plantations ne constituent pas la seule réponse au changement climatique. Ce n’est en aucun cas une solution miracle. La préservation des forêts existantes, la libre évolution, la régénération naturelle assistée, la futaie irrégulière, le boisement naturel des terres agricoles, etc. Toutes ces solutions ne nécessitant pas ou peu la production de plants doivent aussi être mises en avant. Ce sont autant de possibilités fondées sur la nature permettant à la fois l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.

 

4) Comment les avancées technologiques et scientifiques peuvent-elles être intégrées pour améliorer l’efficacité des programmes de reboisement ?

 

L’un des problèmes concernant les plantations massives, c’est celui de la disponibilité des plants forestiers de la part des pépiniéristes. Une alternative existe, même si elle est forcément minoritaire. Il s’agit du semis direct. Elle est très peu utilisée, car elle propose des rendements faibles et les semences sont très chères. Cependant, dans certaines situations, elle peut être efficace et assurer une bonne résilience. Si évidemment elle concerne des espèces spontanées, non exotiques, bien adaptées aux conditions stationnelles. Ce semis direct bénéficie aujourd’hui de techniques très innovantes et Hi-Tech. Des drones par exemple vont déposer des graines sur le terrain à reboiser de manière extrêmement précise et rapide. Les emplacements sont définis en amont par des études de terrain et par télédétection. De plus, ces techniques se nourrissent de connaissances actuelles sur les phénomènes de compétition et de facilitation entre espèces végétales et animales.    

 

5) Comment l’implication des communautés locales impacte-t-elle la réussite à long terme des projets de reboisement, et quelles approches sont les plus efficaces pour les engager ?


Les actions de reboisement doivent s’inscrire dans une gestion durable des terres et en tenant compte du contexte social et agricole. Les populations locales, notamment dans les pays en développement, doivent être systématiquement associées à ces projets. Des concertations sont nécessaires si, par exemple, on envisage de planter des arbres là où se trouvent déjà des activités pastorales. D’autre part, il est essentiel de pouvoir suivre ces plantations qui ont souvent nécessité des engagements financiers importants. En Afrique, avec la Grande Muraille verte, on a planté des arbres, mais après il n’y a eu personne pour les arroser, les entretenir…

Reboisement au Mali par notre ONG LIFE, 2019

 

6) Quels sont les éléments clés d’une collaboration réussie entre les gouvernements, les ONG et le secteur privé dans le domaine du reboisement ?

 

La prise de conscience de la part des citoyens de l’importance des forêts et des milieux naturels en général est réelle à l’échelle mondiale. Elle poussera les États à agir en ce sens. Mais toutes les actions mises en place, aussi bien par les États que par les entreprises, doivent être mieux définies, mieux contrôlées et mieux évaluées scientifiquement afin qu’elles apparaissent comme réellement bénéfiques pour la planète !

 

7) Pouvez-vous partager des exemples concrets de projets de reboisement qui ont obtenu des résultats positifs en termes de restauration de l’écosystème ?

Un des projets de reforestation parmi les plus anciens et les mieux réussis a été rapporté dans l’article de Pour la Science 529 « Pour une reforestation raisonnée ». Il s’agit de la restauration de la forêt atlantique de Rio de Janeiro, au Brésil. Du XVIe au XVIIe siècle, cette forêt a été graduellement détruite pour l’utilisation du bois et son remplacement par des fermes cultivant la canne à sucre, le café ou élevant du bétail sur des pâtures. Dans la première moitié du XIXe siècle, la ville a connu de graves pénuries d’eau. En 1861, l’empereur du Brésil Pedro II a embauché Manuel Gomes Archer pour mener à bien un projet de restauration de la forêt, afin qu’elle puisse faciliter la formation de sources par pénétration de l’eau de pluie dans les sols. Ainsi, entre 1862 et 1874, 72 000 plantules ont été installées sur une zone à présent intégrée au parc national de Tijuca. Ce projet, maintenant vieux de 160 ans, était pionnier, car il a utilisé un grand nombre d’espèces différentes, principalement natives, plantées de façon hétérogène.

 

8) Pouvez-vous nous parler de l’agroforesterie et de ses impacts positifs sur le couvert forestier ?

 

L’agroforesterie consiste en l’association d’arbres, de cultures et d’animaux sur une même parcelle

 

Elle inclut ainsi des pratiques agro-sylvicoles (cultures et arbres), sylvo-pastorales (arbres et animaux), ou alors des systèmes avec les trois composantes (agro-sylvo-pastorales). C’est un outil important de maintien de couverts forestiers dans le contexte actuel de pression intense sur les forêts. Face aux défis globaux, les systèmes agroforestiers présentent de plus l’intérêt de répondre au défi de la sécurité alimentaire, tout en produisant des services environnementaux, tels que le stockage de carbone, la protection des sols contre l’érosion, l’amélioration de la qualité des sols, des effets positifs sur la biodiversité, etc.

La Méditerranée, avec les dehesas espagnoles, les montados portugaises, les arganeraies du Maroc nous montrent l’exemple de cet agro-sylvo-pastoralisme dont s’inspire aujourd’hui l’agroforesterie moderne.

C’est une occupation raisonnée et optimale de l’espace au bénéfice de l’arbre, de l’animal et des cultures



Un arbre (chêne vert ou liège, arganier, olivier), un animal (cochon, taureau ou chèvre), une culture (des céréales, des légumineuses) et finalement l’élaboration d’un écosystème fonctionnel et diversifié. On reconstitue un peu ce que la nature a construit dans la complexité de ces écosystèmes forestiers. La permaculture à une autre échelle est basée sur le même principe. Mais tout cela est très réfléchi. Les arbres sont suffisamment espacés pour ne pas se faire concurrence concernant l’eau et les nutriments. Les cultures vont profiter de l’ombre de l’arbre et du sol particulier qui s’élabore peu à peu sous son couvert, du fait de l’apport chaque année d’une litière, qui, en se décomposant, libère matière organique et éléments nutritifs. Élevage et arbres ne sont donc pas antinomiques. L’agroforesterie les associe, les intègre dans un même ensemble cohérent et fonctionnel alors que dans d’autres systèmes, ils sont dissociés spatialement : les champs et les pâtures d’une part, les haies et la forêt paysanne d’autre part. L’agrosystème, par définition un écosystème simplifié, retrouve en se mutant en espace agroforestier, un niveau de complexité plus élevé prévalant dans les écosystèmes plus naturels. La composante animale n’est évidemment pas obligatoire dans cette « symbiose écologique », symbiose, car chaque partenaire y trouve un avantage. Cultiver en association avec des arbres présente déjà de multiples avantages, notamment concernant la protection du sol… Et si, très rapidement, le changement climatique nous obligeait, pour des cultures telles que la vigne ou autres cultures vivrières, à constituer un couvert arboré plus ou moins dense pour limiter l’ensoleillement et les chaleurs excessives… Mais attention à la consommation d’eau et à la concurrence de ces arbres pour cette eau parfois si rare.

On est ici en présence d’une biodiversité façonnée, favorisée même, par les interactions que les sociétés ont entretenues avec elle depuis 10 000 ans. En d’autres termes, une sorte de coévolution de cette biodiversité et des systèmes socio-écologiques en intégrant donc l’homme comme une composante active du système.

Arbre et culture ne sont finalement pas non plus concurrents même si dans le dernier siècle on a appris à l’agriculteur, qui ne l’aimait déjà pas beaucoup, à se passer de l’arbre !

Une équipe de chercheurs européens a récemment montré qu’en Europe, l’agroforesterie représente 15,4 millions d’hectares, soit 8,8 % des terres agricoles.

 

Cette réponse de M. Gauquelin est en partie extraite de son livre « Des arbres et des forêts, dictionnaire pour comprendre ces fabuleux organismes vivants. »

 

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